Non, je ne redescends pas dans ce bordel humain (2005)
Mercredi 21 septembre 2005, 9H30. Le corps humain est une machine de guerre avec plus de résistance que n’importe quelle machine de guerre. Moi, je fais confiance à la résistance de mon corps que Dieu m’a donné pour me permettre de traverser les anneaux du cycle de vie. Dans mon malheur, j’ai aussi de la chance car mon corps résiste bien à la maladie du sida, il y a encore beaucoup de gens qui meurent du sida dans le monde. Je résiste, je résiste car j’aime la vie, le sida personne ne me l’enlèvera de mon corps, peut-être ont-ils le remède à portée de main mais ils préfèrent le garder pour eux pour le moment. Moi, j’ai appris à vivre avec le sida depuis 15 ans, il y a eu des hauts et des bas mais au bout du compte je suis encore là vivant parmi les vivants, je ne suis pas encore allongé dans la petite boîte de sapin blanc et personne ne vient planter des fleurs sur ma tombe. Ce jour-là viendra, mais pas tout de suite.
Je n’ai jamais été confronté à la mort directement, mes deux parents sont âgés mais bien vivants, je n’ai pas perdu de frère ni de sœur, ni de copains ou copines, au cours de ma vie. Je redoute terriblement le jour où mes deux parents vont s’en aller auprès de Dieu, mais au moins ils auront vécu longtemps sur notre planète. Ce jour-là, je serai très triste probablement, je me demanderai si j’ai été un bon fils pour mes parents et si j’ai profité assez de leur présence quand ils étaient encore vivants et parmi nous. Il ne faut pas rejeter la mort, elle fait partie de la vie aussi, ce sont deux sœurs qui se ressemblent point par point, l’une est blanche, l’autre noire. Ces deux sœurs s’aiment beaucoup et se respectent mutuellement. Les humains que nous sommes ne sont que de simples clients de passage, car la vie suit la mort, et c’est un éternel recommencement depuis la nuit des temps. Se dire ou s’entendre dire qu’on n’a pas peur de la mort est stupide, et de toute façon faux. Car Dieu nous a faits comme des machines pour vivre et évoluer en bien ou en mal (là n’est pas la question), et non pour se laisser mourir et attendre la mort, qui d’ailleurs ne vient pas forcément immédiatement. La mort doit attendre le signal de Dieu pour nous emporter loin dans son pays. D’ailleurs ne dit-on pas l’ange de la mort, l’ange de la vie, l’ange etc etc.
Il y a Dieu et sa toute-puissance. Il y a l’ange de la vie puis l’ange de la mort. Il y a ensuite le reste de la maison du bon Dieu, je ne les connais pas tous, alors désolé si j’arrête là. J’ai appris que beaucoup de choses allaient par deux. Il y a la maladie et aussi la guérison. Il y a la mort et aussi la vie. Il y a la séparation et aussi l’union. Il y a la haine mais aussi l’amour. Il y a la connerie mais aussi l’intelligence. La liste est longue, alors pourquoi se prendre la tête pour être le premier partout et sur tous les fronts. J’essaie de vivre bien et longtemps, ensuite quand la mort viendra je la laisserai me prendre et m’emporter dans son royaume en espérant qu’elle me fera des petites gâteries que je n’ai pas eu droit étant humain.
J’attends que Dieu se présente à moi et me reçoive comme un grand guerrier avec tous les honneurs qui me seront dus. Je n’aurai pas besoin de parler pour détailler ma vie, mes points forts et mes points faibles. Franchement, jusqu’à maintenant je n’ai tué personne dans ma vie et si ça pouvait ne pas arriver ça serait bien cool. À mon avis quand je crèverai, les anges gardiens du ciel n’ont pas intérêt à me faire chier la bite. Pas question de redescendre sur terre pour refaire un autre cycle, je donne volontiers ma place à tous les abrutis qui n’auraient pas eu encore leur dose. Même si l’ange me disait : dans ta prochaine vie tu seras beau, riche et en bonne santé toute ton existence humaine, je répondrais : non je ne redescends pas dans ce bordel humain. Ça ne m’intéresse pas de refaire encore et encore la même erreur, le terre j’en ai marre, moi qui ai été envoyé sur une planète, autant que ça soit une planète sans débiles dessus, je veux bien être changé en elfe volant dans la forêt magique de Martialand, au slogan : chez Martialand on trouve de tout si tu n’as besoin de rien, prix imbattables. Enfin, si je dois me faire chier autant que ce soit dans cette vie-là, parce que après ma vie j’attends qu’on ne m’oblige plus à rien foutre que je ne veuille pas. Il paraît qu’on sera des esprits sans corps, il paraît que je pourrai aller plus vite que la lumière ou que le son. Je ne vis que pour savoir si c’est vrai, finies les douleurs dans les jambes, là je pense et je suis déjà dans le lieu que je veux être, plus besoin de passeport ni de douanes, je passe et je vous emmerde.