Dieu mène le jeu des pions que nous sommes pour lui (1996, 2005)
Vendredi 16 février 1996, 6H10. Je viens d’appeler à Paris parce que j’en ressentais le besoin, et je suis tombé sur Rodolphe qui ne jure que par le médecin, comme s’il était le seul à pouvoir m’aider, peut-être dans le deuxième temps, mais dans le premier temps j’ai envie qu’on me dise des choses chaudes qui réchauffent mon cœur, je vais bientôt rejoindre ma place auprès de Dieu, je ne serai plus jamais seul.
6H20. Je n’ai plus de raison d’être jaloux désormais, car je ne suis plus bon à rien qu’à avoir mal et me plaindre. Dieu, aide-moi s’il te plaît, ne me fais pas souffrir, ne me laisse pas avec mes angoisses et mes peurs, si ma vie doit s’arrêter là alors je suis prêt à te suivre, mais accorde-moi un répit, juste un répit, laisse-moi voir toute ma famille et mes amis-es proches de moi, je voudrais les embrasser. Je voudrais que cela s’arrête et je n’ai même plus de dignité. Si je ne peux même plus me contrôler dans n’importe quel endroit, il pourrait m’arriver malheur, je finirai par ne plus sortir de chez moi. Je deviendrai un ermite comme quand petit je l’avais rêvé. C’est peut-être une épreuve de Dieu, c’est peut-être une épreuve de la vie tout simplement, je suis rentré dans une sale maladie et je dois me la trimballer et voilà c’est tout. Et j’irai jusqu’au bout de mes forces, je ne me laisserai pas faire, j’ai fait trop l’amour et voilà ce que j’ai ramassé, le plaisir n’est jamais parfait.
Mercredi 5 octobre 2005. Je suis optimiste sur le reste du parcours que je dois accomplir pour ne pas mourir trop jeune. Pour moi, je voudrais bien mourir vers les 80 ans et pas avant pour avoir le temps de vivre quelques années de bonheur avec mon entourage futur. Il m’arrive de plus en plus de me dire que j’approche de ma fin de vie que mon sida grignote chaque jour un peu plus. Je ne sais pas quand j’ai été contaminé, mais ça devait être en 1987 et je vis encore en 2005, ça fait quinze ans que je vis avec le sida, il n’est pas trop virulent parce que de temps en temps je lui mets des claques en me soignant et qu’il disparaît et reste en sourdine, un seul faux pas de moi et il se réinstalle au milieu du salon et prend ses aises, le salaud.
Je disais que j’ai peur de mourir avec un palmarès de 37 points et d’ans de vie. Okay ! Elle fut pas trop moche ma vie, j’eus beaucoup d’expériences dans quelques domaines, je fus assez courageux d’affronter seul cette vie-là, en fait je fais partie des chanceux à qui il arrive un malheur rien que pour leur permettre d’exister un temps donné, et repris parce qu’il faut bien laisser sa place à une autre âme plus jeune et plus dynamique, à mes yeux je comprends cela et je l’accepte comme une bénédiction de mon corps. Imagé, je suis un vieux tacot qui a un peu de mal à tenir la route, il lui faudrait un garage. Pour la première fois, je regrette d’avoir le sida, car il m’a empêché de faire des enfants avec ma princesse Négus, je regrette simplement cela, j’ai la chance de ne pas contaminer mes partenaires, c’est au moins ça, je n’emmènerai personne dans mon sillon, je ne souhaite à personne de vivre ce que les hommes (humains) m’ont fait vivre sur cette terre, les rabaissements, les humiliations, les mensonges, les souffrances, les vols, leurs jalousies, leur racisme, leur hypocrisie, leur méchanceté.
Okay ! Je ne suis pas le seul à vivre cela, mais c’est moi qui sais mieux que personne comment elle a été ma vie. Toutefois, ma vie est actuellement très belle et très bonne à vivre, grâce notamment à ma femme qui me supporte et grâce notamment à Daniel, Rodolphe, et Dieu parce qu’il est derrière tout cela, Dieu mène le jeu des pions que nous sommes pour lui. Sauf que Dieu n’est pas un barbare, il est celui qui me sauvera quand viendra le moment de rendre mon âme. Dieu m’envoie une épreuve sous le nom de sida, je dois vivre avec le sida le mieux possible, c’est mon ultime épreuve avant de devenir un ange bien ou mal, ça dépend de ma sagesse ou de ma méchanceté passée et vécue sur cette terre. Avec tous ceux que je m’empêche de tuer, Dieu va devoir me choisir une bonne place à côté de lui, enfin pas trop loin de lui, car j’ai deux ou trois questions à lui poser, j’aimerais lui demander qui je suis tout simplement, qui je suis et qu’est-ce que je devais faire sur cette planète appelée terre.