Ma vie à l’hôpital n’est pas de tout repos (2009)
Mardi 1 décembre, hôpital, à 07H18 du matin. Comme tous les matins, on me réveille à 7H pour prendre ma température et ma tension. Puis à 8H vient le petit déjeuner qu’on peut choisir, café, café au lait, thé, pain, sucre, beurre. À 10H30, je descends faire ma séance de 20 minutes de rayons laser, où je suis couché sur le dos attaché par une coque en résine faite spécialement à la taille de mon torse, froide et rigide, je ne peux plus bouger d’un poil. Puis je remonte en chambre, seul ou accompagné, cela dépend de mon état.
Depuis que j’ai attrapé l’infirmière qui m’a gueulé dessus parce que je refusais de manger mon plat trop épicé, j’ai vu beaucoup de psy, la première une femme blonde au gros cul m’a écouté puis m’a donné à boire 10 gouttes de calmants. C’est sensé me mettre sur les genoux. Mais les infirmières prennent des initiatives en augmentant les doses, comme par exemple 20 gouttes au lieu de 10. Du coup, je ne me sens pas bien du tout. C’est pourquoi hier soir j’ai viré dans les chiottes ce breuvage explosif illico presto, une parole est une parole.
Ma vie à l’hôpital n’est pas de tout repos, car n’ayant pas l’habitude de recevoir des ordres ou suivre des directives de quiconque, je finis par me faire plus d’ennemis que d’amis. Les femmes en blanc profitent que je sois en fauteuil roulant ou couché pour me faire des malheurs. Par exemple à mon réveil, elles hésitent pas à ouvrir ma porte de chambre en grand en gueulant le plus fort possible : Réveil ! en allumant la grande lumière, en bousculant mon sommeil. Cela me rappelle ma propre mère qui autrefois nous réveillait frères et sœurs étant petits (je ne peux pas supporter ce comportement de sauvage).
Ne pouvant pas obtenir de chambre en cancérologie, on m’avait placé au 3ème étage en gastro. L’enfer pour moi je vous l’assure, trois femmes s’acharnèrent à me pourrir mes séjours parmi elles, alors que toutes les autres étaient des anges avec moi. Je suis devenu un légume mais j’ai toute ma tête et donc quand ça ne va pas j’ai pas ma langue dans ma poche.
Il est maintenant 9H46 et si rien n’a changé je devrais faire ma séance ce matin à 10H30. Je ne suis pas allé aux chiottes encore ce matin, espérant que je n’aurais pas envie pendant que je serai sur la table, cela dit j’ai une grosse couche en permanence sur moi au cas où ! Il me tarde de rentrer chez moi, de laisser derrière moi l’hôpital, les médicaments, la mauvaise bouffe, les médecins qui me prennent la tête. Toutefois je vais reprendre contact avec le toubib du VIH car j’ai envie de redevenir indétectable comme avant.
D’après R [médecin spécialiste en oncologie] il y aurait pas mal de monde qui aimerait me rejeter d’ici à cause de mon caractère difficile. C’est sûr je ne suis pas un ange, mais il y a pire que moi. Après l’hôpital, je ne sais pas ce que je vais faire, Martinique, Paris, Paris, Martinique, cela reste encore un mystère.
Samedi 19 décembre 2009 à 08H53. Bon j’ai petit déjeuné ce matin sans avoir vraiment faim. Quand la meuf est venue me gueuler dans les oreilles : Petit déjeuner, que voulez-vous ? Mi réveillé mi endormi je me disais : quelle saloperie je vais découvrir sur le plateau ? On pourrait croire qu’à l’hôpital tout le monde est gentil avec les malades, ça c’est dans la télé. Parce qu’en réalité, ici du moins, rien ne se passe comme cela, il y a de la vacherie en permanence entre malade et femmes de service, ou entre malade et infirmières.
9H09. Toute cette semaine et à chaque grand repas, je n’ai fait que commander mes repas chez le traiteur du coin [pizzas ou hamburgers-frites apportés de l’extérieur]. 10 euros par ci, 10 euros par là, je me suis restauré avec goinfrerie et sans mesure. Ici, j’ai résolu par moi-même mes problèmes de digestion répétés. Ça fait une semaine que mes selles sont devenues dures, alors qu’avec la bouffe de l’hosto j’étais toujours en diarrhée acide et répétée. Donc, midi et soir traiteur, ils sont hallucinés ici : Mais d’où sort-il tout ce fric ? Eh oui bouffonne, je me procure du H ou du cannabis qu’on m’apporte jusque dans ma chambre. Les peu de gens qui me l’apportent sont des gens non recommandables, des dealers, ou des tueurs, des hommes de main. Le bruit court dans les couloirs qu’en fait je serais un caïd et que je fais ce que je veux là où je me trouve. Les neuneus, ils inventent n’importe quoi, ils me prêtent des rôles de mafia en veux-tu en voilà, c’est à celle qui me dressera le plus noir des tableaux. Pour eux ou elles, le fait de remettre en cause l’autorité des toubibs dépasse toutes les lois de la compréhension. Les toubibs justement ne se prennent pas pour des merdeux, ils ont l’habitude qu’on leur dise oui madame ou non monsieur. Quand ils rentrent dans ta chambre pour les visites du malade, si le malade est couché dans son lit les toubibs ne se sentent plus de supériorité devant toi. Ils disent à chaque fois que des mensonges, te parlent dans un langage codé que moi je ne comprends pas. Ils me fatiguent de les écouter et donc m’énervent deux fois plus vite.
La dernière fois, ils étaient rentrés à cinq dans ma piaule, au milieu trônait cette femme chef de service qui s’est permise de m’engueuler parce que disait-elle j’avais pas fait signer mon bon de sortie pour l’autorisation du vendredi soir au dimanche soir. Il se trouve que je suis rentré en réalité le lundi matin à 10H. Tellement j’étais énervé contre cette salope en blanc, je me suis levé, tout debout c’est pas pareil que tout couché. Hop ! la voilà qui disparaît déjà dans le couloir. Je l’appelle, lui balance : Attends, pourquoi tu pars, on va discuter les yeux dans les yeux, on va parler de femme à homme. Sur ma table, un paquet de clopes ouvert, j’en saisis une (là, à ce moment-là j’étais bien remonté), la porte à ma bouche, l’allume devant toute l’autorité de l’hôpital. La chef est hors d’elle. Comment un simple malade peut-il défier autant l’autorité (mais voilà le malade maintenant debout impressionne par sa stature, 2 mètres zéro deux, c’était plus facile couché). Elle me dit : Monsieur M il est interdit de fumer dans les chambres. Je la regarde dans les yeux et lui réponds : Je m’en fous madame, j’étais tranquille, j’étais peinard devant la télé, vous rentrez et tout de suite vous jouez à la petite chef en me parlant comme si j’étais qu’un paquet de merde. – Monsieur M vous allez faire exploser l’hôpital. – Madame, je m’en fous de ce que vous me dites, car vous voyez, vous êtes encore là !
En fait je me faisais le simple kiffe de faire tous les interdits rien que pour remettre sa très sale autorité déplacée. Si tu viens à moi, que je suis open et couché, ne commence pas à venir avec ta hauteur et tes façons d’aristo. Je ne suis ni ton chien, je ne suis ni ton valet. Tu me parles et de plus en plus ta voix monte jusqu’à me sortir des énormités, tel que j’ai fugué en ne faisant pas signer la feuille de sortie. Putain, je m’en bats les couilles moi de ta signature sur un papier, je suis d’abord un homme libre qu’aucune administration ne peut retenir. Monsieur M vous êtes un fuyard ! Putain je me lève, je n’en peux plus de celle-là, elle me met les nerfs à vif, je saisis au passage une clope. Hé ! attends pourquoi tu pars, viens me parler. Dans les cinq toubibs qui étaient présents, il y avait aussi un interne mec, avec qui je parlais parfois. Il me sort : Tu lui fais peur. – Ah bon ! Pourquoi ? – Parce que tu te lèves l’air menaçant, tu allumes une clope dans ta chambre, risquant de tout faire péter, tu impressionnes les gens parce que tu es grand. – Maintenant que je suis debout, qu’elle revienne parler avec moi, nous sommes dans la même position. Hop ! je vais la chercher dans le couloir, sans ma clope, je lui balance : Si j’avais été un fuyard, reconnaissez que je ne serais pas rentré lundi matin ! La pauvre toubib me regarde à nouveau de haut car je la poursuis assis dans le fauteuil roulant. Elle ne sait pas quoi répondre, elle secoue la tête, elle fait des grands gestes, recule et revient. Tout cela en un court instant, l’espace d’une minute peut-être. Je suis à la télé. Je regarde une nana qui refuse d’admettre les faits, la vraie raison de ce brouhaha est simplement leur autorité de médecins.
Le papier jaune que je n’ai pas fait signer vendredi soir a déclenché une cascade de malentendus pour aboutir à un seul mot : je suis un fuyard ! J’ai bien l’impression qu’elles ne savent pas le sens réel du mot fuyard. Des fuyards comme moi, ça doit pas courir les rues. En vérité, j’ai préféré lâcher l’affaire, j’étais en présence d’une neuneu en blanc, inutile de lui faire entendre raison, j’ai préféré pousser seul mon fauteuil en direction opposée des relous.
Depuis de mon côté je suis devenu le caïd, mort de rire, il y a eu des menaces, des prises de chantage d’eux comme quoi ils vont me virer. Je leur ai répondu : Allez-y, avec grand plaisir ! Ce n’est que des mots pour voir si cela m’impressionne. Les cons, ils ont réveillé le dragon qui dormait en moi. Grâce à eux et elles toutes ils m’ont passé les pleins pouvoirs. Je suis devenu malgré moi l’intouchable. Aucune menace, aucun chantage, aucune autorité ne m’effraie. C’est moi Dieu !